Valkiry Fièvre-Lune

Un homme est assis devant son bureau, plongé dans l’obscurité. Seule la lueur tremblotante d’une bougie éclaire son visage soucieux qu’il tient entre ses mains. Dans la pénombre, ses traits qui semblent s’être creusés, ajoutent à son air tendu lassitude et incompréhension.
Grégoir Parn, Chef de la Garde de Hurlevent est immobile, seul dans cette pièce à lire et relire sur un parchemin les ordres qu’il avait reçu la veille par la Chancelière même :


Lieutenant Parn,

Nous avons enfin pu mettre la main sur la très recherchée Valkiry Fièvre-Lune, descendante directe du grand voleur de même nom et que vous connaissez que trop bien pour la traquer depuis près de deux années.

Elle a été arrêtée de manière très rapide et efficace par les services secrets qui me sont rattachés, dans une taverne des Carmines où elle a, une fois n’est pas coutûme, fait preuve d’un manque évident de discrétion en aggressant physiquement un bon nombre de clients avant de tomber endormie sur une table.

Quoiqu’il en soit, nous l’avons incarcérée à Hurlevent sans attendre afin de l’interroger sur son maître, Syreel Fièvre-Lune, mais elle refuse d’adresser la parole à quiconque n’est pas...vous.

Je n’avais pas l’intention de vous mettre en contact avec elle étant donné le peu de réussite que vous avez apporté à ce dossier que j’ai dû moi-même reprendre en main, mais je n’ai pas le choix.

Ainsi, un convoi arrivera demain à l’aube avec la condamnée pour que vous puissiez vous entretenir avec elle. Il va de soi que nous ne vous laisserons pas seul avec elle. Cette entrevue aura lieu dans un endroit clos, gardé et sera gnomofilmée par nos soins.

Valkiry Fièvre-Lune a aussi demandé, avec toute l’impertinence que vous lui connaissez que soit présent votre secrétaire personnel, Monsieur Vladimir Stav, pour vous faciliter la tâche quant à l’écriture du rapport.
Vous avez là une chance de rattraper vos erreurs passées concernant Valkiry en lui faisant avouer où se terre son maître, le cerveau de bon nombre d’affaires en cours.

Ne me décevez pas.

Dame Psychée
Chancelière de Stormwind



D’un geste tremblant, le lieutenant Parn replie le parchemin et le repose sur son bureau comme si celui-ci lui brûlait les doigts. La première fois qu’il avait lu cette lettre, il avait ressenti un immense contentement malgré les remarques de la Chancelière à son sujet.

L’important, était qu’enfin, Valkiry Fièvre-Lune avait été attrapée, et qu’en plus, il allait pouvoir après ces deux longues années de traque, se retrouver face à son démon. Mais maintenant que le soleil se couche sur Hurlevent et après la journée qu’il vient de passer, il sait que le dossier Fièvre-Lune est loin de se refermer.

Grégoir Parn se lève lentement et sort de son bureau qu’il ne prend même pas la peine de verrouiller. Le pas chancelant, il se dirige vers la salle où a eu lieu l’interrogatoire de la criminelle quelques heures plus tôt. Sur son chemin, la machoire serrée, il regarde avec incompréhension les chaises renversées, les tableaux tombés des murs, le parquet en bois ciré maculé du sang de quatres gardes morts sur le sol. Parn s’arrête sur le pas de la porte de la salle d’interrogatoire, et fixe les yeux sur le cadavre de Vladimir Stav. Le secrétaire particulier du lieutenant avait été décapité d’un cou de dague rapide et net. Il est encore assis sur sa chaise, à moitié couché sur l’épaisse table en chêne rougie par une flaque de sang sombre. La tête avait disparu.

Le lieutenant de police respire alors un grand coup et marche lentement, sans déplacer d’éventuels indices afin de ne pas perturber l’enquête qui va fatalement avoir lieu, vers le gnomoscope du coin opposé à la porte d’entrée. Il appuit alors sur un bouton de l’appareil de technologie gnome d’où sort l’enregistrement de l’interrogatoire.

- Je n’ai rien compris à ce qu’il vient de se passer, il faut que je me concentre là-dessus et que je me repasse la scène... et que je me ressaisisse dit-il à voix basse comme pour se sentir moins seul dans ce tragique moment plus que pour reprendre ses esprits.

Grégoire Parn revient dans son bureau, s’affale dans son fauteuil de vieux cuir et sort d’un des tiroirs un autre appareil gnome, plus petit que celui de la salle d’interrogatoire, et y glisse l’enregistrement. Alors qu’il appuit sur l’unique bouton de l’engin, un faisceau de lumière jailli contre le mur du bureau, et un message apparaît :



Dossier n°115
Interrogatoire de Valkiry Fièvre-Lune
mené par Grégoir Parn et Vladimir Stav


Le gnomoscope, positionné dans un coin de la salle d’enregistrement donne une vision un peu abstraite des faits, mais l’image est de bonne qualité. Elle montre une salle vide, juste meublée d’une table en chêne à laquelle est assise une jeune fille brune avec de grands yeux bleus.
Ses mains liées sont posées sur ses genoux. Valkiry Fièvre-Lune.

- Elle est d’un calme déconcertant se dit Grégoir Parn alors que ce dernier fixe attentivement les images qui défilent sous ses yeux.
Sur l’enregistrement, la porte de la salle d’interrogatoire s’ouvre, et le lieutenant de police suivi de son secrétaire s’assoit face à la criminelle.

C’est Vladimir Stav qui le premier rompt le silence :
- Nom et prénom !...
Valkiry qui regardait calmement le lieutenant tourne lentement les yeux vers l’homme de petite taille, sec, le visage rubicond.
- ... Valkiry Fièvre-Lune.
- Vous êtes bien la petite fille du très recherché Syreel Fièvre-Lune?
- Elle-même.
- Bien... vous connaissez sans doute les chefs d’accusations qui pèsent contre vous... vols, assassinats, contrebande, traffics en tout genre,... mais ce qui nous intéresse, c’est que vous êtes maintenant soupçonnée de terrorisme !
- Je reconnais ces faits, mais je ne vois pas ce qui peut justifier d’accusations pour terrorisme.
Le secrétaire se lève et cri :
- Eh bien quel culot ! Vous êtes la petite fille unique d’un Elfe qui est recherché par nos services depuis bien avant votre naissance et vous osez ne pas comprendre nos soupçons alors que vous-même, êtes une criminelle accomplie ?!
la jeune fille baille.
- oui...
Le secrétaire, outré, s’apprête à giffler l’impertinente mais il est retenu par Grégoir Parn, qui s’interpose en retenant son bras.
- Je vais poursuivre Vladimir, calmez-vous ! dit-il. Valkiry, vous n’êtes pas sans savoir que je vous recherche depuis bien longtemps et que je connais le moindre de vos faits et gestes. Nous allons cependant tout reprendre depuis le début. Expliquez-nous votre histoire, peut-être comprendrez vous vous-même pourquoi vous êtes recherchée pour terrorisme.
Parn avait parlé calmement, et dans sa voix, on pouvait déceler d’étranges nuances de crainte et de respect.
- Très bien mon cher lieutenant, que voulez-vous savoir ?
- Tout. Commencez par votre enfance et vos liens avec Fièvre-Lune.
La jeune fille continue de fixer les deux hommes d’un regard fixe, et comme elle commence à narrer son histoire, sa voix se fait plus cérémoniale.

- Ainsi, je me nomme Valkiry Fièvre-Lune, fille de la Chasseuse Elfe Myra Fièvre-Lune et du Guerrier Humain Viktor Jonas, tous deux tués dans une embuscade tendue par des Réprouvés alors que leur caravane franchissait les cols de Hillsbrad, il y a de cela 12 années, j’avais 15 ans.
J’ai dû dès lors me débrouiller seule, mais de par l’éducation de mes parents, j’avais de bonnes bases. Le métissage qui me caractérise m’a fait développer le don de camouflage, et j’avais de bonnes notions de chasse à l’arc et de combat, notamment au corps à corps.

- Cette marque sur le front vous vient du côté Elfe de votre mère? interroge Parn.
- À vrai dire, non. C’est une histoire assez longue, et rattachée à ce qui vous intéresse le plus, mon grand père. Trois années avant la mort de mes parents, et alors que ces derniers m’enseignaient respectivement leur art afin de m’orienter vers la voie du chasseur ou celle du guerrier, j’avais fondé une sorte de club, le Clan Rouges Lames. J’avais rencontré lors de mes cours six enfants d’environ mon âge, et aussi peu assidus aux cours que moi. Tout comme eux, je n’étais pas faite pour la voie que je suivais. Je voulais pour ma part être voleuse pour le compte de l’Etat, mais comme ma mère était en froid avec son père, le célèbre voleur Fièvre-Lune, mes parents me refusèrent ce choix.

Nous étions sept, et nous réunissions dans un lieu tenu secret. Pour les parents, ce n’était qu’un groupe d’amis qui décompressaient après l’école, jouant ensemble. C’était la couverture idéale pour faire ce que nous voulions, loin de tout.

- On ne vous a pas demandé de nous raconter vos jeux d’enfant ! coupe le secrétaire, excédé. Parlez nous de Fièvre-Lune !
- J’y viens, soyez patient... Le but du Clan Rouges Lames était de repousser nos limites et découvrir notre vraie nature. Pour ce faire, les membres avaient chacun leur tour un défi à relever, choisi par les autres. Les défis étaient souvent dangereux pour des enfants de notre âge, mais nous nous sentions de valeureux combattants en puissance. Souvent, il s’agissait de nous mesurer directement aux adultes, et pas n’importe lesquels.

Le jour de mes seize ans, c’était à mon tour de relever le défi qui m’était imposé. Dérober le couteau d’un vieil ermite Elfe d’Ashenvale. J’avais une semaine pour accomplir mon forfait. Durant plusieurs jours et nuits, j’ai observé, camouflée dans la forêt jouxtant la cahute, les allées et venues de l’étrange personnage. Le dernier jour, j’ai volé l’arme, mais je me suis faite prendre, c’était la première fois, j’ai eu peur, j’ai dû m’évanouir.

- Le vieil Elfe, c’était votre grand père ? interrogea le Lieutenant Parn.
- Lui-même, mais je ne le savais pas encore, je ne l’avais jamais vu. lorsque je me suis réveillée, j’étais allongée sur un tapis de mousse en pleine forêt, mais j’étais juste à côté de la maison de mes parents. Sur mes genoux était posée la fameuse dague, l’objet de mon défi.

Je suis rentrée chez moi sans vraiment savoir ce qu’il s’était passé, mais j’étais très affaiblie, éreintée. Alors que je montais me coucher, j’ai croisé ma mère dans le couloir menant à ma chambre, elle revenait de la chasse, et tenait encore dans sa main deux lapins morts d’une seule flèche.

Quand ma mère me vit, elle se figea sans rien dire, fixant mon visage. Elle s’approcha doucement, me caressa le front sans que je comprenne, et alors qu’une larme naissait au coin de ses yeux, elle me gifla sèchement avant de me prendre dans ses bras et de me dire :
“comment va ton grand-père?”. Interloquée, je ne comprenais pas. Elle me regarda alors et ajouta en souriant cette fois. “Tu portes sur le front la marque de Fièvre-Lune, tu feras une bonne voleuse...”.

Quelques jours plus tard, mes parents se faisaient tuer dans les cols de Hillsbard. C’est le lendemain de leur mort que les premiers symptômes sont survenus. Peu importe l’endroit, peu importe le moment, je pouvais en une seconde tomber endormie. J’ai appris bien plus tard que c’est mon grand père qui provoquait ces endormissements quand il voulait me parler ou m’enseigner quelque chose, me confier une mission. La Malédiction de Fièvre-Lune.

- Vous voulez dire que c’est comme ça, par l’intermédiaire des rêves, que vous dialoguez avec Syreel Fièvre-Lune ? demanda Parn.
- Exactement. Finalement, je ne l’ai vu qu’une seule fois en Ashenval, notre première rencontre, mais j’ai tout oublié de ce moment. Bien entendu, j’ai essayé de le retrouver pour me tenir une fois pour toutes face à lui, mais jamais je ne l’ai trouvé. Cependant, les rêves qu’il me laisse sont clairs, nets, comme une conversation réelle, mais il est habile, et ne me laisse jamais d’indices qui me permettrait de le retrouver.

- Et qu'en est-il de la dernière mission qu’il vous a confiée ? interrogea le lieutenant.
Le secrétaire particulier fixait la voleuse avec intensité, comme pour la perçer à jour.
- Je vais vous la raconter, répond Valkiry en regardant Parn, et ainsi vous verrai qu’il ne s’agit en rien d’une quelconque activité terroriste contre la Chancel...

- Qu’est ce qui se passe ? intervient Vladimir Stav. Elle s’est endormie ?! C’est le moment ou jamais! Gardes, apportez le Somnotron !
Alors que Valkiry s’était brusquement assoupie, la tête posée sur la table d’interrogatoire, quatre gardes portant une machine étrange faisaient leur entrée.
- Ca sert à quoi ça ?! s’écrie le Lieutenant Parn en se levant d’un bond, passablement énervé par la tournure des évènements qu’il n’avait pas prévue.
- Cette machine a été conçue dans le but de lire dans les pensées des gens, c’est... un prototype, faites-y attention ! Gardes, branchez-là ! Nous pourrons ainsi tracer Syreel Fièvre-Lune jusqu’à sa tanière !
C’est à ce moment précis qu’avec une vivacité irréelle, la voleuse détacha ses liens qu’elle avait coupés durant son semblant de sommeil, et avec la dague dissimulée dans ses cheveux, elle trancha la gorge des deux gardes devant elle. Elle assoma le lieutenant de police et se rua ensuite sur le Secrétaire avec un rictus proche de la folie sur le visage. Le petit homme n’eût pas le temps de réaliser que déjà sa tête roulait sur le sol. Les deux gardes restant n’eurent pas plus de chance et leur corps gisaient déjà sur le parquet quand Parn reprit ses esprits. Autour de lui, le silence, une âpre odeur de sang. il se lève lentement, comme dans un rêve, et, titubant, se tenant le crâne, il sort de la pièce.



L’enregistrement de l’interrogatoire prend fin sur cette pièce vide de toute vie. Le lieutenant Grégoire Parn se laisse tomber en arrière dans son fauteuil de cuir.
La main tremblante, il saisit la plume de son encrier et commence à rédiger son triste rapport, la gorge nouée :

Madame la Chancelière...





Aux abords du Goldshire, parmi les arbres bordant le lac, une silhouette sort de l’ombre, et dépose à même le sol un gros appareil sans doute d’origine gnome.
Valkiry s’accroupit à côté du somnotron un sourire aux lèvres, et sort une lettre parcheminée de sa poche. Dépliant la missive, elle se remémore :



Valkiry Fièvre-Lune,

J’ai besoin de vos services pour une mission d’ordre capitale.
Il y a au sein même de mon gouvernement une organisation soupçonnée d’avoir des rapports avec la Horde afin de préparer un coup d’Etat visant à me renverser.

Je ne peux pas faire appel à mes services secrets, des fuites pourraient survenir.
Ainsi, par dépit plutôt que par nécessité, je fais appel à vos services de mercenaire pour enquêter et mettre un terme à cette machination.
J’ai ouï dire qu’un engin d’origine gnome était en cours d’élaboration pour prévoir les actions de l’Etat major durant les guerres que nous menons et ainsi faciliter les victoires de la Horde.
Vous avez carte blanche pour mener vos investigations et assassiner ces terroristes.

Ramenez-moi la tête du meneur ainsi que l’appareil.

Si vous acceptez, vous serez grassement récompensée, si vous périssez, vous périrez en voleuse.

Bonne chance à vous!

Dame Psychée
Chancelière de Stormwind





Valkiry craque une allumette et brûle lentement la lettre afin d’effacer toute preuve. Dans la nuit noire du Goldshire, la faible lueur éclaire le visage satisfait de la voleuse. Elle murmure :

“Peut-être à un de ces jour Lieutenant Parn, navrée pour l’embarras, mais la prochaine fois que vous prenez un secrétaire, veillez à ce qu’il ne soit pas corrompu!”.